Plantes médicinales des environs de Millau

 

Il y a tout juste cent ans, l’abbé Coste publiait dans le Messager de Millau un premier article consacré aux propriétés médicinales d’un certain nombre de plantes, soit poussant à l’état sauvage, soit cultivées aux environs de Millau. Ces notes, au nombre de trente deux, ont été adressées au journal jusqu’en 1913, couvrant ainsi par ordre alphabétique l’ensemble des espèces méritant d’être retenues, selon Coste, pour leurs propriétés thérapeutiques.


Il est certain qu’en un siècle médecine et pharmacie ont fait dans la connaissance à la fois de l’Homme, sain ou malade, et des médicaments des progrès gigantesques. Des mécanismes physiologiques ont été élucidés, l’origine de la plupart des maladies reconnue et que dire des avancées thérapeutiques avec l’apparition de nouvelles classes de médicaments dont bien sur les antibiotiques. On pourrait donc légitimement penser que les plantes citées par Coste sont toutes tombées en désuétude et que la chimie de synthèse a définitivement remplacé les substances végétales dans l’élaboration de nos médicaments. Ce serait ignorer qu’une part non négligeable des produits vendus en pharmacie à l’heure actuelle ont, directement ou indirectement, une origine végétale.


Cependant, lorsque l’on se penche sur les listes de l’abbé Coste, on constate que toutes les espèces n’ont pas franchi le temps avec le même bonheur et que, si nombre d’entre elles sont toujours utilisées avec sensiblement les mêmes indications qu’il y a cent ans, d’autres ont été écartées et ceci pour diverses raisons.


Il faut tout d’abord mettre à part des plantes hautement toxiques dont l’emploi dans un cadre familial est fortement déconseillé. Parmi elles les ciguës, grande (Conium maculatum) et petite (Aethusa cynapium), la belladone (Atropa belladona), la jusquiame (Hyoscyamus niger), le laurier rose (Nerium oleander), l’hellébore (Helleborus foetidus), les différentes renoncules, les daphnés ou encore le colchique (Colchicum autumnale). Si la plupart de ces plantes sont encore inscrites à la Pharmacopée, le législateur a pris soin de dresser une liste d’espèces pour lesquelles le risque d’utilisation dépasse l’intérêt thérapeutique. Si certaines d’entre elles, telles que la belladone, les ciguës ou l’aristoloche, sont toujours employées, elles sont utilisées dans des préparations très éloignées des simples tisanes; soit elles entrent dans des formulations codifiées comme des teintures ou des extraits, soit dans l’élaboration de préparations homéopathiques où la dilution parfois extrême des principes actifs en abolit en principe la toxicité, soit elles servent à l’extraction de principes actifs (colchique, plantes à huiles essentielles par exemple) mais sont dans ce cas généralement issues de cultures.


Une autre raison bien différente doit décourager le prélèvement en nombre de certaines plantes poussant à l’état sauvage. Plusieurs espèces, en raison de leur rareté ou de leur valeur patrimoniale, sont protégées par la loi et de ce fait leur récolte est interdite dans la nature ; il s’agit par exemple de l’adonis de printemps et de l’anémone pulsatille rouge. D’autre part, il convient d’éviter le ramassage de plantes telles que l’ophioglosse, les orchidées et certaines piroles dont les faibles propriétés thérapeutiques ne justifient pas la mise en péril.


Sur les 300 plantes environ citées par l’abbé Coste, la moitié d’entre elles sont inscrites à la dernière édition de la Pharmacopée en tant que plantes médicinales, une cinquantaine figurant d’autre part dans la liste des tisanes. Si la part du végétal dans la thérapeutique reste donc importante, il convient, cependant, de se pencher, pour ces plantes et pour les autres, sur les indications souvent multiples avancées par Coste, cette multiplicité reflétant bien la pauvreté de l’arsenal thérapeutique à la veille de la première guerre mondiale.


Beaucoup de ces indications sont devenues (heureusement pour nous !) obsolètes. On ne soigne plus la tuberculose à l’aide de bouillon d’asperge ou de tisane de consoude et la découverte de la vitamine C a conduit à la disparition du scorbut. Les espèces qui sont restées d’actualité sont le plus souvent des plantes que l’on peut qualifier de confort, destinées au traitement de maladies bénignes ou chroniques et permettant d’éviter le recours à des médications plus lourdes aux effets secondaires indésirables. Leur utilisation correspond à une discipline qui se veut plus proche de la Nature, la Phytothérapie.


Les principaux domaines d’application des quelques plantes citées ici concernent notamment les troubles digestifs (angélique, ballote, fenouil, fumeterre, matricaire, romarin, salicaire, sauge, thym), les troubles du système urinaire (busserole, courge, frêne, ortie, piloselle, pissenlit, prêle, reine des prés), les troubles nerveux, l’humeur et le sommeil (aubépine, avoine, ballote, coquelicot, houblon, mélisse, millepertuis, tilleul, valériane), les troubles circulatoires (ail, cassis, cyprès, fragon, piloselle, vigne rouge), les problèmes de l’appareil respiratoire (coquelicot, marrube, plantain, saule, sureau noir, thym), les problèmes dermatologiques (avoine, bardane, bourrache, carotte, onagre, ortie, pensée sauvage, plantain), les problèmes articulaires et osseux douloureux (cassis, lamier, ortie, prêle, reine des prés, saule). Parmi ces plantes médicinales, certaines ont vu leurs indications changer avec la découverte de propriétés méconnues autrefois ; c’est par exemple le cas du millepertuis (Hypericum perforatum) utilisé essentiellement aujourd’hui pour ses propriétés neuro-sédatives. Pour d’autres, la partie du végétal employée n’est plus la même qu’à l’époque de Coste ; ainsi on ne récolte plus les feuilles de l’onagre mais les graines qui fournissent une huile renfermant des acides gras essentiels.


Il est important de signaler que la qualité d’une plante médicinale dépend d’un certain nombre de facteurs : le terrain, le climat, l’époque et les conditions de la récolte, le soin apporté au séchage et à la conservation, l’idéal étant bien sûr l’obtention d’une constance relative dans la teneur en principes actifs. C’est pourquoi, à côté de l’utilisation de la plante classiquement séchée, un certain nombre de laboratoires pharmaceutiques spécialisés ont développé des techniques permettant une normalisation des concentrations en molécules supportant l’activité et des présentations galéniques, gélules par exemple, facilitant la prise du médicament. De même, lorsque l’activité est toute entière concentrée dans l’huile essentielle (c’est le cas de nombreuse plantes de la famille des Lamiacées), c’est cette essence terpénique qui peut être extraite et commercialisée.


Au passage, il convient de rappeler quelques points de législation trop souvent ignorés. Les plantes médicinales dépendent du monopole du pharmacien hormis, depuis 2008, 148 espèces (seulement 34 entre 1979 et 2008). Au cours de leurs études, les futurs pharmaciens reçoivent plus de deux cents heures d’enseignement aussi bien en botanique, biologie végétale qu’en pharmacognosie et peuvent éventuellement compléter leurs connaissances par un Diplôme de Phytothérapie dont la préparation est assurée par plusieurs Facultés. Ils sont de ce fait garants de l’authenticité et de la qualité des plantes vendues dans leur officine au même titre que celles des autres médicaments.


Enfin, et ceci s’adresse aux ramasseurs occasionnels, il faut savoir que tout n’est pas bon dans la Nature et que les pires toxiques côtoient les plantes utiles pour se soigner ou tout simplement comestibles. Une connaissance botanique des espèces est essentielle, or cette connaissance ne peut s’acquérir qu’au fil du temps, de préférence sur le terrain, au contact de personnes compétentes. Attention aux déterminations hâtives à l’aide de petits ouvrages illustrés! Il est des familles comme les Ombellifères (Apiacées) pour lesquelles les différences entre les espèces apparaissent bien minces pour le profane, mais la consommation de la petite ciguë et celle du persil n’ont pas le même résultat… En la matière, la conclusion peut se résumer en quelques mots de latin que n’aurait pas désavoués le bon abbé Coste : « primum non nocere ».