La naissance de la Flore de COSTE (1900-1906)

 ou

l’ histoire d’une aventure scientifique réussie

 

           Conférence-Diaporama de Christian BERNARD

"les journées Coste"

Saint Paul des Fonts - 5 août 2006

 

        

  

    La Flore descriptive et illustrée de la France, de la Corse et des contrées limitrophes du Chanoine COSTE, plus connue sous le nom de Flore de COSTE, a été élaborée et rédigée ici même à St-Paul-des-Fonts entre 1900 et 1906.

 

 

Cet ouvrage magistral, en 3 tomes (T.1 : 416 p., T 2 : 627 p., T.3 : 807 p.),

connut un succès considérable

tant auprès des scientifiques que d’un plus large public.

 

 

 

Un siècle plus tard, malgré de nouveaux acquis dans les domaines de la floristique, les changements de nomenclature et l’apparition de nombreux livres illustrés, cette Flore demeure l’un des principaux et meilleurs ouvrages de base des botanistes, fréquemment cité comme référence bibliographique en France et en Europe.* Il faut souligner que cette Flore est l’un des cinq ouvrages de base ayant servi à l’élaboration du Flora Europaea, publié en Grande-Bretagne (1964-1980 et 1993). Ainsi Hippolyte COSTE, modeste curé de campagne, fils de paysans sud-aveyronnais, s’est trouvé élevé au rang des plus grands dans le domaine de la botanique : son nom figure auprès de ceux de l’Autrichien HAYECK, de l’Allemand HEGI, du Scandinave HYLANDER et de l’Académicien soviétique KOMAROV.

 

Comme l’écrit G.G. AYMONIN : « c’est là, sans doute, un magnifique témoignage de la portée internationale moderne de l’œuvre du grand botaniste rouergat dont toute la vie fut animée par un inaltérable et lumineux feu sacré ».

Sept suppl. ont été publiés, entre 1972 et 1990, par JOVET… et coll.

 

L’essentiel de cet exposé vise à retracer la véritable aventure qui conduisit Hippolyte COSTE, modeste curé de campagne, fils de paysans rouergats, mais remarquable botaniste, isolé dans un coin des Cévennes, à cette réalisation magistrale qui nous laisse admiratifs.

Ce cheminement nous permettra de découvrir cette Flore, parue par fascicules, de l’analyser dans sa conception et de suivre son élaboration.

 

°

°   °

 

A la fin du 19° siècle, les botanistes français ne disposaient guère que de la Flore de GRENIER et GODRON, parue en 1858, Flore générale, encore disponible mais devenue fort rare et chère (COSTE avait eu des difficultés pour se la procurer).

Cette Flore, comme la plupart des ouvrages de ce type, était dépourvue d’illustrations.

A cette époque, l’élaboration de deux monumentaux ouvrages de floristiques était lancée :

 

        La grande Flore illustrée de Gaston BONNIER,

        commencée en 1890,

        mais qui ne paraîtra que de 1912 à 1935 

 

et  la Flore de France

de ROUY, FOUCAUD et CAMUS,

 en 12 tomes,

publiée de 1893 à 1913

 

 

 

Ces deux ouvrages volumineux, de nature encyclopédique, destinés surtout aux laboratoires, ne pouvaient guère remplacer la Flore de GRENIER et GODRON.

 

Lorsqu’il arriva à St-Paul en mars 1894, Hippolyte COSTE avait 36 ans.

Il accueillit cette affectation comme une «pénible surprise»…

Lors de ses affectations antérieures (Villefranche-de-Rouergue, Montclar, Ste-Eulalie-de-Cernon, et antérieurement depuis le Petit Séminaire de Belmont ou le Grand Séminaire de Rodez),  il avait beaucoup herborisé -et il continuait d’ailleurs à le faire sur les Causses, en Aveyron ou dans des régions plus éloignées. Il avait ainsi accumulé une masse importante de connaissances floristiques sur le terrain et constitué un riche et volumineux herbier.

Depuis novembre 1885, il était admis comme membre de la Société botanique de France, parrainé par Ernest MALINVAUD, secrétaire de cette Société, et par Henri LORET, auteur de deux éditions de la Flore de Montpellier.

Lors des nombreuses sessions de la Société botanique de France, dont celle de Millau en 1886 qui fut pour lui la toute première, il avait noué de nombreux et fructueux contacts avec les botanistes de l’époque et réalisé ses premières communications.

C’est en septembre 1894 qu’il fit la rencontre de l’abbé Joseph SOULIE, rencontre qui allait être le début d’une longue et solide amitié et d’une fructueuse collaboration, concrétisée par la publication de très nombreuses notes floristiques, signées COSTE et SOULIE.

 

 

Coste et Soulié au sommet du Margis

La réputation d’Hippolyte COSTE était déjà fort grande, tant parmi les botanistes français qu’étrangers ; le champ de ses correspondants était très vaste si l’on en juge la masse et la diversité de la correspondance qu’il recevait : lettres, échanges d’échantillons et de notes.

En maintes occasions, il avait fait preuve d’une érudition solide, d’une grande sûreté de jugement et d’une grande force à défendre ses idées, arguments solides à l’appui, au travers des notes qu’il publiait.

Il  s‘était parfois trouvé en désaccord avec certains floristes, notamment avec Georges ROUY.

D’ailleurs il jugea sévèrement la publication du premier des douze tomes de la Flore rédigée par ce dernier :  « ouvrage indigeste, de nature à vous dégoûter à jamais de l’étude des fleurs ». Il s’était effectivement opposé aux  « multiplicateurs », ces naturalistes qui décrivent à l’infini de prétendues espèces qui ne sont souvent que de simples variations stationnelles.

 

Dans les projets de celui qui serait surnommé « le curé des fleurs »  figurait depuis ses débuts son souhait de réaliser une Flore de l’Aveyron, sur les traces du Dr Antoine BRAS, auteur d’un Catalogue des plantes de l’Aveyron, en 1877 *. Cette Flore malheureusement ne verra jamais le jour ; il retint aussi un temps le projet, un peu chimérique, de partir à la Réunion pour étudier la flore, projet qu’il abandonna en 1897 en apprenant que la Flore de cette île était réalisée depuis peu par Jacob de CORDEMOY.

En 1899, COSTE était nommé « membre honoraire » de la Soc. Bot. de France, titre fort rarement décerné.

 

En cette fin du 19° siècle, un éditeur parisien enthousiaste, Paul KLINCKSIECK, membre de la Société botanique de France, spécialisé dans la publication d’ouvrages scientifiques, souhaitait publier une Flore descriptive et illustrée de la France, sur le modèle de la Flore nord-américaine de BROWN et BRITTON, parue en 1998.

 

.

 

Restait à trouver un auteur compétent, méthodique, à l’esprit à la fois ouvert, critique et conciliant, capable d’assumer cette lourde tâche !

 

Qui engagea KLINCKSIECK à penser à l’abbé COSTE ?

 

Deux hommes jouèrent un rôle essentiel et déterminant dans le choix de l’éditeur.

 

 

Il s’agit d’une part d’Ernest MALINVAUD ,

secrétaire de la Société botanique de France,

homme très érudit et en contact étroit avec

les botanistes de son temps

 

 

et d’autre part du Professeur Charles FLAHAULT,

l’éminent maître de la Phytogéographie naissante qui appréciait le travail du curé de St-Paul dont il était devenu le correspondant puis l’ami.

 

 

 

 

 

Tout ou presque semble s’être joué à Hyères, dans le Var, lors de la session de la Société botanique de France en mai 1899, session à laquelle participent MALINVAUD, FLAHAULT et COSTE.

En effet, à peine de retour à Paris, dès le 3 juin, MALINVAUD rencontre KLINCKSIECK.

Le même jour MALINVAUD écrit à COSTE pour lui annoncer : « l’éditeur est bien disposé à votre égard ».

Effectivement, le jour suivant l’éditeur écrit à COSTE .

Dans sa longue lettre, KLINCKSIECK annonce clairement ses intentions : « la flore américaine est bien comprise et pourrait servir de modèle », il définit le format du livre, le nombre des figures, leurs dimensions et leur disposition... Il indique à COSTE que « le choix des espèces » à retenir lui appartiendra mais il s’inquiète déjà sur le nombre d’espèces de Hieracium et de Rosa…

Il précise que le public visé doit être plus large que celui des botanistes purs…

Le 9 juin, COSTE répond en joignant une première rédaction des Renonculacées qui sera passée au peigne fin et critiquée en retour par l’éditeur, le « priant d’exclure les échappées de jardins ».

Suit alors une période délicate entre les deux hommes, montrant les difficultés d’harmoniser les vues du botaniste de terrain et celles de l’éditeur. COSTE pense même un temps que malgré sa « bonne volonté », il ne pourra s’entendre avec Monsieur KLINCKSIECK au sujet d’une Flore illustrée de France.

MALINVAUD intervient  (20 juillet 1899) reconnaissant qu’il « est difficile de s’entendre par correspondance » « que cet Editeur n’est pas commode. Il a un tempérament très nerveux, craint de faire commercialement une mauvaise opération ». Puis il ajoute : « je vous conseille de ne pas vous rebuter ».

Plusieurs lettres de l’éditeur resteront sans réponse. COSTE, outre les charges de son ministère qu’il assure, poursuit ses prospections botaniques sur le terrain : il ira notamment dans les Pyrénées avec Hippolyte PUECH, botaniste de Tournemire, et l’abbé SOULIE qui, cet été là, avait rallié à pied en herborisant Montlouis aux Eaux-Chaudes.

Cependant, COSTE entretient des relations épistolaires avec Julien FOUCAUD, jardinier-chef du jardin botanique, alors célèbre, de la Marine de Rochefort et obtient l’assurance de pouvoir disposer des échantillons de plantes qui vont lui manquer pour la rédaction de la Flore.

En effet, COSTE tient absolument à disposer de tout le matériel végétal qu’il devra décrire…et faire dessiner.

Ce matériel que lui-même a récolté, celui de l’abbé SOULIE, tout le matériel procuré par FOUCAUD et les nombreux correspondants, va constituer l’Herbier COSTE, légué à la Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, mis en dépôt depuis 1972 à l’Institut botanique de Montpellier.

 

En août 1899 COSTE a déjà rédigé la « Clé dichotomique de la Flore », synthèse complexe et étonnante, réalisée avec sûreté et clairvoyance, attestant une grande puissance de travail et de merveilleuses connaissances des plantes vivantes.

 

COSTE, très conciliant,  écrit alors « qu’il fera tout son possible pour entrer dans les vues du brave éditeur, sans cependant prétendre à y réussir complètement ».

Effectivement, en octobre COSTE envoie à KLINCKSIECK ses premières rédactions de la Flore. Celles-ci donnent satisfaction puisque, dès novembre, le contrat proposé par l’éditeur sera signé. Seule réserve : l’assurance de rester libre pour réaliser son projet de Flore de l’Aveyron. A cette époque (novembre 1999) MALINVAUD a contribué efficacement à lever quelques inquiétudes de COSTE : « la rédaction du texte définitif et la classification adoptée sont votre œuvre scientifique et engagent votre responsabilité de savant et il ne serait pas prévoyant de laisser à votre éditeur un pouvoir absolu à cet égard ».

 

Des échanges quasi permanents s’établissent alors entre Paris et St-Paul, grâce aux service postal mais aussi, pour les gros envois, grâce au chemin de fer : la petite gare de St-Jean-et-St-Paul, grâce à COSTE, va connaître une activité non négligeable.

 

 

En effet des spécimens de plantes sélectionnés sont envoyés aux dessinateurs. Quatre dessinateurs vont réaliser les figures qui contribueront au succès de cette Flore : M.M. JOBIN et DENISE, Melle KASTNER et Mme HENRICK. Les épreuves au retour sont critiquées et corrigées, puis retournées… 

D’ailleurs, dans une de ses lettres l’éditeur demande à COSTE d’être exigeant et rigoureux avec les dessinateurs qui « se relâchent vite quand ils s’aperçoivent que ça passe… » ; les figures devront être « exactes et à la fois harmonieuses ».

Des ouvrages de botanique ou des publications sont également envoyés à COSTE, à la demande, par MALINVAUD ou KLINCKSIECK…

Outre la rédaction des textes de la Flore : clés, descriptions et corrections des dessins, Coste doit répondre aux innombrables sollicitations de l’éditeur pour régler les nombreux problèmes de détail et se conformer aux nécessités imposées par l’édition.

COSTE, maîtrisant son Herbier et organisant ses sources de documentation écrira bientôt, en février 1900 : la « Flore descriptive et illustrée de la France va être désormais l’objet de tous mes soins ».

En mars COSTE adresse à l’éditeur le « Vocabulaire illustré » de la Flore, véritable cours de botanique en 36 pages (pages I à XXXVI). KLINCKSIECK écrira à sa réception : « votre vocabulaire est bref et comme tel me plaît beaucoup ».

COSTE ne se consacre pas uniquement à la Flore de France ; il terminera un ouvrage de REVEL, resté inachevé : "Essai sur la Flore du Sud-ouest de la France". Il continue à herboriser…

Vers la fin juin c’est la première livraison des 148 premières pages de la Flore proprement dite comprenant le « Tableau analytique » ou Clé « des Familles » et la description des espèces des Renonculacées aux Crucifères (p. 1 à 128).

 

 

 

Le 1ier août COSTE vient à Paris avec PUECH pour l’Exposition universelle et le Congrès international de Botanique. Il loge chez MALINVAUD et rencontre KLINCKSIECK chez qui il va déjeuner, le lendemain de son arrivée…

En novembre, c’est la deuxième livraison de la Flore des Cistinées aux Caryophyllées (p. 129 à 240).

La troisième livraison a lieu en mars 1901 ; elle comprend l’Introduction intitulée «  La Flore et la végétation de la France » , rédigée magistralement par Charles FLAHAULT, comprenant 52 pages et une carte, plus les pages 241 à 304 comprenant les Géraniées aux Papilionacées.

La Flore paraît donc régulièrement par fascicules à la satisfaction des souscripteurs.

La publication du tome 1 (52 +XXXVI + 416= 504 pages) est terminée fin 1901.

Le tome 2 est commencé.

Mais, de juin 1901 à octobre 1902, Hippolyte COSTE a de sérieux ennuis de santé qui réduisent ses activités et contrarient l’avancée de la publication.

La rédaction des Composées (t. 2 de la Flore, p. 280-479) est alors confiée à Antoine LE GRAND, botaniste auteur de deux éditions de la « Flore analytique du Berry » (1887 et 1894). On remarquera que celui-ci omettra de préciser la répartition géographique des genres dans son traitement de cette importante famille, ce qui lui sera reproché.

En mai 1903,  FLAHAULT écrit à COSTE  « les Composées débarassées, nous allons revoir votre prose ».

Effectivement, avec l’amélioration de sa santé, COSTE reprend et poursuit la rédaction : les Campanulacées…, les Borraginées…Il décline cependant, pour raisons de santé, l’offre d’organiser et de diriger une session de la Soc. bot. de Fr. en Aveyron.

La publication du tome 2 (riche de 627 pages), prévue pour mars 1904, est achevée fin 1903.

 

En 1904, les premiers fascicules du t. 3, comprenant les Scrofulariées et Labiées, paraissent.

En avril 1904, KLINCKSIECK écrit à COSTE :  « les Salsolacées (57 espèces) sont terminées ; elles seront adressées pour la gravure avec les Polygonées dans huit jours ».

Durant ce été 1904, COSTE herborise au Lautaret avec KLINCKSIECK ; il y retournera en 1905.

Cette même année il reçoit son camail de Chanoine honoraire de Mgr FRANQUEVILLE, évêque de Rodez.

 

La Flore avance toujours : les dessins des Orchidées sont réalisés en 1905 par Melle KASTNER… ;  la rédaction des Carex a lieu en janvier et février 1906 ; suivent les Graminées… ; en septembre les Fougères…

 

Le 25 novembre 1906, le chanoine COSTE signe « Aux lecteurs : La rédaction de la Flore descriptive et illustrée de la France m’a pendant sept années imposé un travail opiniâtre et consciencieux. Isolé au fond de la province, dans un coin obscur des Cévennes, éloigné des riches bibliothèques et des grandes collections, je devais nécessairement rencontrer des difficultés presque insurmontables pour conduire à bonne fin une œuvre de cette importance. Aussi, arrivé au but final et sur le point d’écrire ces lignes, je suis profondément saisi par la pensée de mon insuffisance et des imperfections de cette œuvre ».

 

En décembre de cette même année, a lieu la livraison ultime des derniers fascicules du t. 3 (p. 593 à 807), incluant également 10 pages d’additions et corrections , les abréviations des noms d’auteurs (4 p.), et la table alphabétique générale des 3 tomes (p. 729 à 807).

La publication du tome 3,  et donc de la Flore complète, s’achève le 29 décembre 1906.

Au total, un ouvrage de 1938 pages réalisé en un peu moins de sept années, décrivant 4354 espèces illustrées de figures, réalisées par 4 dessinateurs sous la direction et le contrôle de COSTE.

 

Ainsi, grâce à la clairvoyance de l’Editeur Paul KLINCKSIECK, grâce au « travail opiniâtre et consciencieux » et aux talents du Chanoine Hippolyte COSTE, fut menée à son terme la plus appréciée des Flores de France du 20° siècle, ouvrage magistral qui honore la botanique française et européenne.

 

De nombreuses plantes emblématiques des Causses, comme cette Gentiane endémique (Gentiana clusii subsp. costei, décrite par Br.-Bl.), perpétuent le souvenir d’Hippolyte COSTE et de son œuvre désintéressée au service de la Science.

 

 

Bibliographie

L. Roucoules et G.G. Aymonin, 1981.- Hippolyte Coste, prêtre et savant. Bull. de la Soc. bot. de Fr., t. 128.

G.G. Aymonin, 1981.- La “Flore de la France » d’Hippolyte Coste : du projet à l’héritage. Bull. de la Soc. bot. de Fr., t. 128.

G.G. Aymonin et Monique Keraudren-Aymonin, 1981.- Hippolyte-Jacques Coste. Esquisse d’une chronologie comparée et documents bio-bibliographiques. Bull. de la Soc. bot. de Fr., t. 128.

C. Bernard, 2006. Correspondance reçue par H. Coste, Soc. des Lettres, Sc. et Arts de l’Aveyron, Rodez.

 

Christian BERNARD, « La Bartassière », Pailhas 12520-COMPEYRE.

Journées COSTE 2006 à St-Paul-des-Fonts.